francine michel

entre terre et ciel

Debout, tenir debout, murmurent les sculptures verticales de Francine Michel. Ces œuvres élancées remanient l’air de signes énigmatiques. Elles nous font pérégriner vers l’ailleurs. Ce sont des tuteurs de rêve entre terre et ciel. Dans l’univers de la céramique, l’argile, que nous nommons terre, a bouleversé l’existence de Francine. Elle est ainsi passée de la peinture au volume, du regard et des mains à l’engagement de tout son corps pour ériger « ces piliers vivants » chers à Baudelaire.
Le monumental façonné au colombin très fin arrive très vite dans sa démarche. « Peut-être pour supprimer le socle… » dit-elle. Un long temps d’esquisse, de dessin, lui est nécessaire pour faire apparaître une forme. Une maturation de réflexions sur le monde, des lectures, une attention à l’actualité distillent le profil de ses pièces. Ensuite à l’atelier, l’élévation des œuvres se concrétise tous les jours. La trace du colombin apporte aux parois des sculptures la vibration mystérieuse de la matière en mouvement. Malgré un aspect velours, les irrégularités troublent
la surface d’une légère rugosité. Ce frémissement de la vie, comme l’ondoiement léger de la mer par temps calme.
La construction répétitive au colombin rythme la structure sans la rigidifier. Cette rigueur apporte du calme et de la sérénité dans ces élévations géométriques. Des engobes à peine perceptibles s’accordent à ce tremblement. Surgissent des éclats de bleu auxquels Francine ne donne aucune explication ; après tout « la Terre est bleue comme une orange. » affirme le poète.
Aussi étrange que le mouvement perpétuel de l’univers, la sculpture, cet inutile utile, nourrit l’imaginaire, nous met en branle.
Ces sculptures nous incitent à en faire le tour, à lever le regard. Parallèlement au monde végétal qui se hisse vers la lumière, les céramiques de Francine Michel se dressent, prenant à témoin le ciel, permettant la communication entre le haut et le bas.

 

« Ce sont des gardiens, des dryades, des tours, des équilibres – mais aussi la forme simplifiée de l’humain traversé par l’énergie du monde. » résume-t-elle
Lutter contre l’effondrement, relever ce qui tombe en nous, autant de questions soulevées par ces élans épurés. Ceux-ci interpellent plus
qu’ils ne délivrent de réponses. Ces sculptures nous convoquent en un point précis de l’espace. À la manière d’une aiguille d’acupuncteur, elles déverrouillent un concentré d’énergie.
Des blocs, des pavés, des cubes, des rondelles s’empilent sur l’axe central qui se vrille calmement dans une ascension vers le haut. Une similitude inconsciente avec la spirale dynamique de l’ADN semble nous emporter dans un tourbillon. Une sensation d’invisible émane de ces structures effilées, calligraphiant l’air. Un dialogue s’instaure avec l’impalpable, corrobore cette pensée de Merleau-Ponty. « L’invisible de ce monde, c’est ce qui actuellement n’est pas visible, mais pourrait l’être ». Ces sculptures ponctuent l’espace comme le tintement d’une cloche qui nous ramène à nous-même. Amer immobile sur le rivage, point d’ancrage pour le regard comme un arbre chahutant la platitude de l’horizon ou antenne captant d’autres fréquences, autant de signes qui nous mettent en marche, qui nous font entendre la vie troublante. Si nous n’allons plus voir ce qui est planté entre terre et ciel, qui nous intrigue, alors quelque chose de l’ordre du rêve s’éteint en nous ; la quête s’évanouit.
Ancrée à la terre, la tête dans les étoiles, Francine sait pourquoi elle se rend chaque jour à l’atelier, car il faut toujours recommencer, relever ce qui tombe, pour percevoir parfois ce vers de Rimbaud :
« Un chant mystérieux tombe des astres d’or ».

bernard david, 2021

Démarche personnelle

Après un passage par le dessin, la peinture, l’artisanat sous des formes variées, 1989 fut l’année d’une rencontre décisive et révélatrice avec la terre qui décida de mon expression artistique.
Travailler la matière avec les mains, monter un volume malléable à l’infini, créer une forme dans l’espace et voir naître la manifestation de mes aspirations intérieures fut une révélation. J’ai vite compris que la terre me permettrait des formes élancées fusant vers le ciel. Le colombin est devenu mon mode d’expression et de prédilection.
J’ai donc suivi le cursus de deux académies et d’une école des métiers d’art en Belgique : poterie, modelage, sculpture et technologie des émaux à Tournai et Charleroi, les métiers d’art à Jemappes.

Mon travail commence a partir d’un lieu visité, d’une réflexion, d’une méditation, la nature, les mythes et légende, l’actualité m’inspire, je dessine alors des croquis dans mon carnet de dessin où je puise selon mes besoins. En cours de fabrication, mes œuvres relèvent un peu de l’écriture automatique des artistes surréalistes. Matérialisation du principe même du non-perceptible, mes pièces sont autant de pistes à suivre sur le chemin de la vie, chaque pièce évolue, se multiplie, devient forêt, sentinelle, gardien, promeneur…

Je biscuite la terre à 900°, ensuite par pulvérisation, j’habille mes créatures de plusieurs couches d’oxydes et d’engobes de différentes couleurs. Par le grand feu, la cuisson à haute température, stade ultime et comme initiatique, les pièces naissent, se métamorphosent, prennent leurs formes et leurs couleurs, deviennent vivantes, autonomes et peuplent les jardins.

Francine Michel

Grant totem strié francine michel

Grant totem strié