D’une expérimentation vers une syntaxe plastique.
Karen Serra met en scène le spectacle d’une littéralité picturale, c’est-à-dire celui de la réalité matérielle de l’œuvre issue d’une expérimentation graphique et picturale. Cette réalité, Maurice Denis la définit ainsi : un tableau (…) est essentiellement une surface plane, recouverte de couleurs, en un certain ordre assemblées. Karen se présente en tant que plasticienne « dramaturge », celle qui scénographie des phénomènes picturaux colorés affranchis de toute narration : nul « message », nul « sujet » au sens traditionnel de la terminologie, nulle représentation : what you see is what you see Donald Judd et Frank Stella.
Ces phénomènes picturaux abstraits, sans littérature ni anecdote, croisent palettes de couleur, de gestes, de contrastes, de textures et collection de gestes. Ils mêlent des spectres de formes, d’espaces et de rythmes. C’est à partir de ce vocabulaire plastique, relativement restreint de façon préétablie et riche en potentialités, que notre artiste établit une syntaxe plastique personnelle aux effets singuliers, caractérisée par l’absence de repentirs.
Une musicalité inspirée naît des combinatoires infinies de ses constituants plastiques. Elle semble trouver sa source dans ce que Wassily Kandinsky nomme « nécessité intérieure ».
Ce que j’essaie sûrement de faire avec ces élaborations fragiles, c’est une manière de reconstruire mon propre spectacle du monde précise Karen. Ainsi, elle ne représente pas ce spectacle, elle y participe en s’y rajoutant. Le sujet traditionnel étant évacué, la peinture devient signe de sa simple présence au monde, au même titre qu’un objet qui habite l’espace.
Cette présence porte en elle les indices de sa genèse qui éclairent la façon fragile dont elle a été élaborée. Un avènement est donné à voir derrière la frontalité affirmée d’un territoire visuel.
Jean-Claude Guerrero le 29 juin 2022 à La Sauvetat.
Hommasse, gouache sur bois, 15 x 15 cm, 2018